Dans un environnement où les organisations doivent à la fois exécuter, améliorer, inventer et transformer, la question centrale devient celle de l’alignement. Comment faire en sorte que chacun sache quoi faire, à quel niveau agir et dans quelle direction aller ? Comment éviter la dispersion, les doublons, les initiatives qui s’épuisent faute de pilotage ou celles qui s’effondrent faute d’engagement ?
La réponse repose sur un modèle simple et puissant : trois niveaux d’arbitrage et de pilotage, trois moteurs d’évolution, un carburant indispensable, et un cap clair pour orienter l’ensemble.
Les trois niveaux d’arbitrage et de pilotage
Le niveau opérationnel
Le premier niveau est celui de l’opérationnel.
Il s’agit du très court terme, du quotidien qui rythme la vie de l’organisation, de ces activités qui s’enchaînent et se résolvent au fil de la journée ou de la semaine. On peut comparer ce niveau à une pile de travail que l’on remplit et vide sans cesse. Chaque collaborateur, du terrain au siège, possède sa propre « to-do », et la plupart de ces activités relèvent du bon sens, d’une priorisation simple de type FIFO ou de la gestion des urgences.
A ce niveau, l’organisation n’a pas besoin de grandes décisions : elle doit surtout exécuter, corriger, optimiser. C’est le royaume de l’efficacité au quotidien, celui où la granularité est fine et où l’autonomie est clé.
Le niveau tactique
Le deuxième niveau est le niveau tactique.
Il se situe sur un horizon de quelques mois, parfois un trimestre ou deux. C’est ici que l’organisation s’occupe des activités non récurrentes, de ces sujets qui nécessitent de la coordination, de la planification et parfois le soutien d’autres départements. On n’est plus dans le flux naturel du quotidien, mais dans la construction d’un chemin.
Le Gantt devient un outil central, car il permet d’orchestrer les dépendances, de structurer les étapes et de rendre visible l’avancement. Les responsables métiers et le middle management y jouent un rôle déterminant. Le tactique est le niveau où l’on pilote l’action collective, celui où les arbitrages deviennent plus visibles, même s’ils ne sont pas encore majeurs.
Le niveau stratégique
Le troisième niveau est stratégique.
Il s’inscrit dans un horizon plus long, de plusieurs mois à plusieurs années. On y pilote les initiatives qui peuvent transformer durablement l’organisation, nécessitent des investissements forts, ou impliquent des renoncements significatifs.
Les enjeux ici ne se limitent plus à la coordination : il s’agit de choisir et de prioriser en fonction de l’ambition de l’entreprise, de son cap, de ses contraintes et de sa capacité d’absorption. L’arbitrage stratégique est celui qui structure réellement l’avenir.
Il mobilise les dirigeants et les membres du COMEX, et repose sur une analyse rigoureuse des gains, des efforts, des risques et des ressources disponibles.Les trois moteurs d’évolution de l’organisation
L’amélioration continue
L’amélioration continue est le premier moteur. Elle consiste à optimiser progressivement ce qui existe déjà. C’est un moteur doux, permanent, accessible à tous. Elle s’exprime dans les produits, les processus, les méthodes et l’organisation elle-même.
L’amélioration continue n’est pas l’affaire d’un service dédié, elle traverse l’ensemble de l’entreprise. Le collaborateur peut améliorer ses gestes métier, le manager ses processus d’équipe, le dirigeant son mode de gouvernance et ses arbitrages. Elle se situe principalement au niveau opérationnel et tactique et constitue le socle d’une organisation apprenante.
L’innovation
Le deuxième moteur est l’innovation.
Elle ne cherche pas à améliorer l’existant, mais à introduire une nouveauté significative, à créer de la valeur en faisant différemment. L’innovation peut concerner un produit, un service, un processus, mais aussi un modèle économique ou un modèle organisationnel.
Comme l’amélioration continue, elle est l’affaire de tous, mais elle nécessite davantage de structuration et d’arbitrage. C’est pourquoi elle relève du niveau tactique et stratégique. L’innovation émerge souvent du terrain mais prend forme lorsque les managers la soutiennent et que la direction lui donne une place dans la stratégie.

La transformation
Le troisième moteur est la transformation.
Elle représente l’évolution profonde de l’entreprise : culture, pratiques, modes de fonctionnement, posture managériale, outils, règles du jeu. Une transformation n’est jamais anodine, elle change durablement la façon dont l’organisation opère. Elle répond souvent à des mutations du marché, des ruptures technologiques, des enjeux sociétaux ou des ambitions fortes.
La transformation est, elle aussi, l’affaire de tous. On ne transforme pas une entreprise sans transformer ceux qui la composent. Mais son pilotage relève clairement du niveau stratégique.
Le carburant : l’engagement des collaborateurs
Sans l’engagement des collaborateurs, aucun moteur ne fonctionne.
C’est l’engagement qui fait remonter les propositions d’amélioration, les idées d’innovation et les signaux faibles indispensables aux transformations. C’est lui qui permet aux équipes de s’approprier les changements, d’expérimenter, de s’ajuster, de s’aligner. Les organisations qui réussissent sont celles où chacun se sent légitime pour agir, proposer, questionner, prendre des initiatives dans son périmètre.
L’engagement n’est pas une conséquence : c’est une condition. Une organisation peut posséder la meilleure stratégie, les meilleurs outils, les meilleures méthodes ; sans engagement, rien ne prend.
Le cap : une stratégie enracinée dans le réel
Pour orienter les trois moteurs et harmoniser les trois niveaux, il faut un cap. La stratégie n’est pas un document abstrait, mais une vision qui donne du sens, qui structure les choix, qui guide les arbitrages. Elle doit être suffisamment claire pour que chacun comprenne où l’entreprise veut aller, et suffisamment connectée au terrain pour rester réaliste et crédible. Une stratégie déconnectée crée de la résistance. Une stratégie enracinée dans la réalité crée de la dynamique. Elle sert d’axe de cohérence pour l’amélioration continue, de filtre pour l’innovation et de colonne vertébrale pour la transformation.
Les horizons de temps dans les organisations
- Le très court terme couvre généralement quelques jours à deux semaines ; il concerne les activités quotidiennes et les « Just Do It ».
- Le court terme correspond à quelques mois, le temps de mener des plans d’action ou des chantiers.
- Le moyen terme, qui s’étend de six à dix-huit mois, est celui des projets transverses et des innovations.
- Le long terme, entre deux et cinq ans, est l’horizon naturel des transformations.
- Au-delà, le très long terme et la vision, qui peuvent s’étendre sur dix ou vingt ans, définissent la trajectoire stratégique de l’entreprise.
La gouvernance comme art d’aligner les niveaux, les moteurs et le cap
La gouvernance n’est pas un ensemble de comités ou de processus. C’est l’art subtil d’articuler les trois niveaux d’arbitrage (opérationnel, tactique, stratégique) avec les trois moteurs qui font évoluer l’organisation (amélioration continue, innovation, transformation). Et lorsque l’on mesure le coût d’une mauvaise gouvernance (Cost of Poor Governance - CoPG), on réalise que la gouvernance est aussi un levier économique majeur qui conditionne directement la valeur créée, ou perdue, par l’organisation.
Une bonne gouvernance donne un cap clair, met en musique les priorités, distribue les responsabilités, simplifie les choix et permet aux équipes d’avancer dans le même sens. Mais surtout, la gouvernance moderne repose sur une conviction simple : rien ne se fait sans l’engagement des collaborateurs. Lorsque chacun sait quel est son rôle, comprend pourquoi il agit, et voit comment son action contribue au cap, l’organisation devient plus fluide, plus performante et plus résiliente. Avancer vite, bien et ensemble n’est pas une utopie : c’est le résultat d’un système cohérent et d’une vision partagée.
FAQ
Pourquoi distinguer trois niveaux d’arbitrage ?
Parce qu’ils ne répondent pas aux mêmes besoins.
- Le niveau opérationnel traite ce qui relève du quotidien, du très court terme, de la résolution rapide.
- Le niveau tactique apporte de la coordination sur des sujets non récurrents qui nécessitent une planification et une mise en cohérence entre plusieurs équipes.
- Le niveau stratégique, enfin, structure les choix majeurs, les arbitrages de ressources et la trajectoire globale de l’entreprise.
Les confondre revient à créer de la confusion, à ralentir les décisions et à brouiller la responsabilité de chacun.
Les trois moteurs (AC, innovation, transformation) ne risquent-ils pas de se chevaucher ?
Ils se complètent plus qu’ils ne se chevauchent.
- L’amélioration continue améliore ce qui existe déjà et permet à l’organisation d’être stable, fluide et performante au quotidien.
- L’innovation introduit de la nouveauté et prépare les futurs possibles. La transformation engage un changement en profondeur, culturel, systémique.
Ces moteurs fonctionnent en parallèle et se nourrissent mutuellement. Une organisation mature sait activer chacun d’eux au bon moment.
Pourquoi dire que l’engagement est le « carburant » des trois moteurs ?
Parce que sans engagement, aucun moteur ne tourne. Aucun irritant ne remonte sans implication du terrain. Aucune idée ne naît sans liberté d’expression et confiance. Aucune transformation ne s’incarne si les équipes ne s’approprient pas réellement les nouveaux comportements. L’engagement n’est pas un « plus » ou un effet secondaire d’une bonne gouvernance. Il en est la condition vitale.
Quel est le rôle du dirigeant dans ce modèle ?
Le dirigeant joue un rôle déterminant au niveau stratégique : il fixe la vision, donne l’impulsion, priorise, protège les initiatives importantes et crée les conditions de l’engagement collectif. Mais son rôle ne s’arrête pas là. Il doit également s’inscrire dans une logique d’amélioration continue de sa gouvernance, clarifier ses décisions et s’assurer que son cap reste connecté à la réalité du terrain. Une stratégie déconnectée est vouée à l’échec ; une stratégie enracinée dans le réel devient un levier puissant de transformation.
Comment distinguer une action opérationnelle d’une action tactique ?
C’est simple : l’opérationnel relève de la « pile », c’est-à-dire de la gestion quotidienne des tâches à réaliser. Le tactique correspond à des sujets non récurrents dont la réalisation nécessite un minimum de planification, de coordination et de visibilité dans le temps. Si la tâche peut être réalisée en autonomie, rapidement, avec peu d’impact externe, elle est opérationnelle. Si elle nécessite une mise en séquence, la collaboration d’autres équipes ou une priorisation formalisée, elle devient tactique.
Comment savoir qu’on entre dans le domaine stratégique ?
On passe dans le stratégique lorsqu’un sujet commence à engager significativement les ressources de l’entreprise, ou à avoir un impact profond sur sa trajectoire. C’est le cas lorsqu’il faut choisir entre plusieurs orientations, renoncer à certaines initiatives, investir du budget, mobiliser durablement des équipes ou faire évoluer des dimensions culturelles. Le stratégique n’est pas une question de taille du projet, mais de portée et de conséquence.
L’innovation doit-elle venir d’une équipe dédiée ?
Non, l’innovation n’est pas la propriété d’un service. Elle peut émerger de n’importe quel niveau de l’organisation. Les équipes peuvent proposer des idées d’usage, les managers peuvent tester de nouvelles pratiques, les dirigeants peuvent explorer de nouveaux modèles. Une équipe dédiée peut aider à structurer, prioriser ou accélérer, mais elle ne doit jamais devenir un goulot d’étranglement. L’innovation fonctionne mieux lorsqu’elle est distribuée.
Une transformation peut-elle réussir sans amélioration continue ?
Très difficilement. L’amélioration continue crée l’habitude du changement, la capacité d’apprentissage, la résilience organisationnelle. Sans cette culture, les transformations sont vécues comme brutales, incomprises ou mécaniques. Avec elle, elles deviennent plus naturelles, mieux comprises et plus durablement adoptées.
La stratégie est-elle figée ou évolutive ?
La stratégie donne un cap, mais elle doit rester vivante. Elle évolue avec le marché, avec les opportunités, avec les apprentissages, avec les signaux faibles qui remontent du terrain. Une stratégie figée devient un carcan. Une stratégie adaptative, enracinée dans le réel, est un générateur de valeur.
Pourquoi dire que la gouvernance est un art et non un processus ?
Parce qu’il ne s’agit pas seulement de routines ou de rituels. La gouvernance est la capacité à orchestrer les trois niveaux, activer les trois moteurs, maintenir un cap clair et nourrir l’engagement des équipes. Cela demande de la finesse, du discernement, de l’écoute, du courage, de la clarté et une vraie compréhension des tensions qui traversent l’organisation. C’est effectivement un art : celui de créer les conditions d’un mouvement collectif harmonieux.
Quels sont les différents horizons de temps dans l’entreprise ?
| Horizon | Durée typique | Exemples |
|---|---|---|
| Très court terme | 0–2 semaines | Just Do It, Activités quotidiennes |
| Court terme | 1–3 mois (max 6) | Plans d’action, Chantiers |
| Moyen terme | 6–18 mois | Projets transverses, innovation |
| Long terme | 2–5 ans | Transformation, stratégie |
| Très long terme | 5–15 ans | Investissements structurants |
| Vision | 10–20 ans | Cap d’entreprise |




