En trois semaines, une organisation peut détruire ce qu’elle a mis dix ans à construire : l’engagement, la confiance, l’envie d’agir. En période d’incertitude, les dirigeants croient protéger l’entreprise. En réalité, ils la rendent fragile. A force de vouloir réduire le risque, ils éliminent la seule chose qui peut sauver l’organisation : l’initiative.
L’innovation est souvent perçue comme un luxe réservé aux périodes de stabilité. Pourtant, c’est précisément lorsque l’incertitude augmente (crises économiques, tensions géopolitiques, ruptures technologiques, inflation, pressions réglementaires) que la capacité à inventer, ajuster, réagir différemment devient vitale.
Mais un paradoxe persiste : lorsque les organisations traversent des moments difficiles, elles adoptent fréquemment des comportements qui détruisent l’innovation, alors même que leur survie en dépend. Elles multiplient les contrôles, durcissent les procédures, éliminent la prise d’initiative, recentralisent les décisions, réduisent la largeur des marges de manœuvre, mécaniquement appauvrissent la créativité… Et surtout, elles alimentent un climat de peur, d’anxiété, de méfiance et de désengagement.
Alors pourquoi des professionnels brillants, rationnels et expérimentés tombent encore et toujours dans ce piège ? Et comment éviter de détruire en quelques semaines la culture d’engagement, de coopération et d’innovation qu’il faut des années à construire ?
L'importance de l'innovation en période de crise
Un levier de résilience organisationnelle
Une crise ne détruit pas seulement les marges financières. Elle déstabilise les modèles mentaux, modifie les attentes des clients, fracture les chaînes de valeur. C’est la capacité d’adaptation et donc d’innovation qui permet aux organisations de trouver de nouvelles réponses.
Sans innovation, la réaction est mécanique : réduction des coûts, contraction de l’offre, perte de valeur, puis perte de clients qui entraîne une nouvelle réduction des coûts. Une spirale mortelle.
Des avantages compétitifs durables
Les entreprises qui innovent pendant une crise prennent un avantage structurel lorsque la situation se stabilise. Elles sortent de la crise avec :
- De nouveaux modèles économiques,
- Des produits/services réajustés,
- Une organisation plus agile,
- Une marque plus attractive pour les talents.
Les autres, restées sur la défensive, doivent rattraper leur retard… souvent trop tard.
L’innovation sacrifiée en période d’incertitude
Le biais psychologique du repli
En situation d’incertitude, l’être humain réagit comme face à un danger : il faut se protéger, réduire le risque, minimiser l’exposition.
Dans l’entreprise, cela se traduit par :
- L’augmentation des contrôles,
- Des validations excessives,
- Du micro-management,
- Le refus de prendre des risques,
- La suppression des marges de manœuvre.
Ce réflexe est humain, mais contre-productif.
Le mythe du « plus de contrôle = plus de sécurité »
Ajouter des procédures donne une illusion de maîtrise. En réalité, cela ralentit l’action, augmente les frictions, réduit l’autonomie, étouffe l’initiative, et finalement crée de la frustration et de la démotivation.
Quand on retire la liberté d'agir, les collaborateurs prennent moins d’initiatives et n’osent plus dire ce qui ne va pas. Ils cherchent à éviter les erreurs plutôt qu’à créer de la valeur. C’est la spirale du désengagement ; désengagement qui réduit encore la performance et détruit l’énergie.
Fragilité, anxiété, non-linéarité, incertitude (FANI)
Le contexte actuel est FANI :
- Fragile : le moindre incident peut provoquer des effets disproportionnés.
- Anxieux : la charge mentale collective augmente.
- Non-linéaire : les résultats ne sont plus proportionnels aux efforts.
- Incertain : les signaux sont faibles, tardifs, ambigus.
Dans ce contexte, les organisations qui cherchent à réduire toutes les incertitudes finissent par amplifier les risques.
Exemples historiques : la crise comme accélérateur (ou destructeur) d’innovation
La Seconde Guerre mondiale
Sous pression extrême, des innovations majeures sont apparues (radars, antibiotiques, informatique). Mais ces innovations n’ont émergé que là où les structures permettaient autonomie, rapidité, expérimentation, loin des lourdeurs hiérarchiques.
Crise de 2008 et pandémie de COVID-19
La crise financière a fait émerger des entreprises innovantes (fintech, mobilité collaborative).
Pendant la pandémie, l’innovation est venue des organisations capables de :
- Décider vite,
- Décentraliser l’action,
- Exploiter la créativité terrain.
Les organisations rigides ont, elles, souffert.
Ce qui favorise réellement l’innovation en période de crise
Une culture de confiance, pas de contrôle
L'innovation exige :
- De la transparence,
- De la sécurité psychologique,
- Le droit à l’erreur,
- Des circuits courts de décision.
L’autonomie et la décentralisation
Les organisations qui réussissent en période critique sont celles qui laissent les équipes décider rapidement, expérimenter, et résoudre les problèmes au plus près du terrain.
L’agilité et les petits pas
L’innovation en crise n’est pas forcément spectaculaire. Elle est souvent frugale, incrémentale, pragmatique. Ce sont les améliorations continues qui maintiennent l’organisation en mouvement.
Les obstacles systémiques à l’innovation en temps de crise
Les obstacles à l’innovation les plus courtants en temps de crise sont les suivants :
- L’hypercontrôle,
- La peur de l’erreur,
- La centralisation des décisions,
- Le court-termisme financier,
- Le mythe du « retour à la normale »,
- La surcharge administrative,
- Le manque d'écoute des signaux terrain,
- La perte de confiance réciproque.
Beaucoup viennent d’un instinct de protection… mais deviennent des pièges mortels.

Recommandations pour éviter le piège du repli défensif et maintenir l’innovation
- Alléger les processus au lieu de les alourdir
Identifier ce qui freine et éliminer, simplifier, raccourcir.
- Installer un climat de confiance
La peur tue l’innovation. La transparence la libère.
- Donner du pouvoir d’agir (empowerment)
Décentraliser. Faire confiance. Responsabiliser.
- Valoriser les « petites victoires »
Les petits pas créent de grands effets dans les environnements non linéaires.
- Protéger les initiatives terrain
Ce sont elles qui révèlent les signaux faibles et les solutions émergentes.
- Maintenir un espace dédié à l’innovation (même minimaliste)
Quelques heures par mois suffisent pour maintenir en vie la dynamique créative.
- Clarifier les priorités et réduire le bruit
L’incertitude augmente la dispersion. Il faut moins de priorités, pas plus.
- Réduire les contrôles inutiles
Les contrôles « de façade » augmentent les coûts et n’améliorent pas la sécurité.
- Accepter l’imperfection
En crise, « assez bien » est souvent bien meilleur que « parfait mais trop tard ».
- Créer un système d’écoute continue
Idéalement via une plateforme comme IDhall qui capte idées, irritants, opportunités, signaux fiables et retours terrain.
Ce qu’il faut retenir
En période d’incertitude, l’innovation n’est pas un supplément d’âme. C’est un mécanisme de survie, une source de résilience, et un investissement stratégique.
Mais elle exige des conditions spécifiques : confiance, autonomie, simplicité, sécurité psychologique. Les organisations qui résistent au réflexe du repli défensif sortent renforcées. Celles qui cèdent à la tentation de la bureaucratie et de l’hypercontrôle détruisent leur culture d’innovation… parfois en quelques semaines. L’enjeu n’est donc pas seulement d’innover, mais de protéger l’environnement qui rend l’innovation possible.




